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préventif du paludisme saisonnier (CPS) lors d’une activité de sensibilisation organisée à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, dans le village de Tsekane, district de Bafia, Cameroun. Crédit photo : Mwangi Kirubi pour le projet
Dr. Perpetua Uhomoibhi, coprésident de l’Alliance CPS
Ms Joy Phumaphi, Executive Secretary of the African Leaders Malaria alliance
Dr. Jacques Kouakou, Directeur adjoint du projet Unitaid Plus
Prof. William Yavo, Directeur Général de l’Institut National de Santé Publique, Côte d’Ivoire
Dans quelques semaines, la saison des pluies débutera dans de nombreux pays d’Afrique fortement affectés par le paludisme et les jeunes enfants seront à nouveau exposés au paludisme par l’intermédiaire des moustiques, anophèles femelles, qui se développent dans les eaux stagnantes lorsqu’il pleut. En 2023, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé que près de 600 000 personnes avaient perdu la vie en Afrique à cause du paludisme. Quatre décès sur cinq concernaient des enfants de moins de cinq ans. Avec les réductions du financement de la lutte contre le paludisme, nous craignons que beaucoup plus de jeunes enfants perdent la vie du fait du paludisme en Afrique. Avec l’arrivée des pluies et la planification des campagnes de prévention déjà en cours, le temps nous est compté pour trouver des solutions de financement alternatives.
Le paludisme est une maladie évitable. Outre les moustiquaires imprégnées et les nouveaux vaccins antipaludiques, la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) est une intervention clé pour protéger les jeunes enfants du paludisme. Cette intervention a été recommandée par l’OMS en 2012 pour réduire le nombre croissant de cas de paludisme et de décès dus à cette maladie dans les pays où elle est plus transmise de manière saisonnière. Deux pays ont relevé le défi et piloté l’intervention en 2012. Grâce à son impact significatif, 19 pays d’Afrique occidentale, centrale, orientale et australe mettent aujourd’hui en œuvre la CPS, touchant ainsi plus de 54 millions d’enfants chaque année*
La CPS a contribué ainsi à réduire le nombre de cas de paludisme au point que les hôpitaux ne sont plus surchargés de patients hospitalisés pour cette maladie comme par le passé. La CPS est également une intervention relativement peu coûteuse – le coût total de l’administration de 4 cycles de CPS, Sulfadoxine-Pyriméthamine (SP) et Amodiaquine (AQ), à un enfant par an se situe entre 4 et 6,30 dollars selon le pays (et les distances entre les communautés, qui varient d’un pays à l’autre). De plus, la CPS a permis aux familles et aux systèmes de santé de réaliser d’importantes économies, car ils n’ont plus besoin d’acheter des traitements contre le paludisme, de payer des soins hospitaliers ou de s’absenter de leur travail pour s’occuper d’enfants malades. Une analyse réalisée en 2021 dans sept pays ayant mis en œuvre la CPS a révélé que cette intervention a permis aux systèmes de santé d’économiser 66 millions de dollars américains et d’augmenter la productivité de 43 millions de dollars américains. Compte tenu de son immense impact économique et de sa portée, un relâchement des efforts, ne serait-ce que pour une saison, pourrait entraîner une augmentation significative des cas de paludisme, des hospitalisations et des décès d’enfants, ainsi qu’une grande perte de productivité économique pour les parents d’enfants dans les pays où le programme est mis en œuvre.
En 2018, tous les pays mettant en œuvre la CPS se sont réunis pour former l’Alliance CPS. Le groupe se réunit chaque année pour partager les meilleures pratiques et améliorer la mise en œuvre de l’intervention.
Lors de sa dernière réunion annuelle au Togo, la nouvelle de l’arrêt des projets de lutte contre le paludisme financés par le gouvernement américain a été au cœur des discussions. À l’instar des États-Unis, d’autres pays donateurs envisagent également de réduire leur financement pour répondre à des préoccupations urgentes en matière de sécurité régionale. Ainsi, les pays qui avaient commencé à partager des plans pour étendre la couverture aux enfants de plus de cinq ans, ou pour ajouter de nouveaux districts, se sont retrouvés à se demander s’il y aurait suffisamment de fonds pour toute campagne. Dans quel délai pourraient-ils trouver un financement de remplacement pour une intervention dont il a été prouvé qu’elle sauve la vie des plus jeunes enfants dans certains des environnements les plus difficiles du monde, en particulier dans le Sahel, où les familles vivent loin des centres de santé et où les gouvernements ont du mal à retenir les travailleurs de la santé.
Dans d’autres régions d’Afrique où la transmission du paludisme est élevée tout au long de l’année, il existe une intervention encore plus coût-efficace qui pourrait être déployée, appelée chimioprévention du paludisme pérenne (CPP). Actuellement, moins de 4 millions d’enfants sur les 35 millions estimés éligibles bénéficient de la chimioprévention du paludisme pérenne. La CPP consiste à administrer un seul médicament, la sulfadoxine-pyriméthamine (SP), aux enfants en bonne santé âgés de moins de deux ans lors de visites programmées en fonction de l’âge dans un établissement de santé. En effet, au lieu de faire du porte-à-porte à la recherche d’enfants à la maison, comme c’est le cas pour les campagnes de CPS, les mères ou tutrices amènent leurs enfants en bonne santé à l’établissement de santé à intervalles réguliers pour les vaccinations de routine. Chacune de ces visites est l’occasion pour un agent de santé de proposer une SP pour protéger l’enfant contre le paludisme pendant un mois. Ainsi, l’enfant est non seulement protégé contre les maladies infantiles mortelles par la vaccination, mais il est également protégé contre le paludisme. L’administration d’une série de 8 doses de SP coûte entre 20 et 50 centimes de dollars par enfant, car l’agent de santé est déjà payé pour être présent dans l’établissement pour administrer les vaccins, et le médicament est très bon marché. La CPP est relativement nouvelle et entraîne donc un coût initial d’introduction et d’extension pour la formation des agents de santé, mais une fois qu’ils sont formés et que l’intervention est intégrée, les coûts récurrents sont faibles
Les deux interventions sont donc essentielles car elles protègent les enfants vivant dans différentes zones géographiques des pays (zones de transmission saisonnière et pérenne du paludisme), et les pays donnent la priorité aux stratégies en fonction de leurs ressources et des besoins de leur population.
De nombreux gouvernements de pays endémiques et donateurs philanthropiques tentent de « sauver » les campagnes de CPS de 2025 dans le Sahel. La planification et la préparation des campagnes sont bien avancées, les dates de début de la CPS étant dans moins d’un mois. Si les campagnes sont manquées, il y aura inévitablement une augmentation des cas de paludisme
Au Cameroun, la CPP a été institutionnalisée dans la plateforme existante du Programme Elargi de Vaccination (PEV) et étendu à toutes les zones éligibles du pays. Plusieurs autres pays, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Mozambique, ont terminé les phases pilotes d’implémentation de la CPP. Les gouvernements nationaux et les donateurs philanthropiques collaborent de la même manière pour soutenir l’intervention. Nous sommes convaincus qu’ils réussiront tous dans leurs efforts de prévention pour 2025, mais nous sommes moins sûrs pour 2026 et au-delà.
© Koung Sonya tient sa fille de 6 mois, Alexia, pendant qu’elle reçoit un traitement préventif du paludisme saisonnier (CPS), lors d’une activité de sensibilisation organisée à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, dans le village de Tsekane, district de Bafia, Cameroun. Crédit photo : Taylor Prochnow, projet Unitaid Plus
Dans les pays endémiques, nous avons constaté que l’utilisation d’un ensemble d’interventions de prévention du paludisme – moustiquaires imprégnées d’insecticides, CPS ou CPP le cas échéant, vaccins antipaludiques et pulvérisations d’insecticides – offrait un niveau de protection plus élevé que les interventions individuelles. Si les enfants dorment sous une moustiquaire imprégnée d’insecticides, 45 % des cas de paludisme peuvent être évités. S’ils dorment sous une moustiquaire imprégnée d’insecticides et reçoivent la CPS, 78 % des cas de paludisme peuvent être évités. S’ils dorment sous une moustiquaire, reçoivent la CPS une fois par mois pendant 4 mois au cours de la saison de forte transmission, et reçoivent le nouveau vaccin antipaludique RTS,S, 92 % des cas de paludisme peuvent être évités. C’est ce qu’ont démontré des études de recherche au Mali et au Burkina Faso. Par conséquent, afin d’obtenir le meilleur impact possible sur le système de santé et l’économie, les ministères de la santé combinent les interventions et utilisent de plus en plus des approches personnalisées pour optimiser la protection contre le paludisme dans les différents contextes et communautés à risque de leur pays. A ces mesures, il faudra impérativement ajouter des actions soutenues de renforcement de l’assainissement du milieu pour une réduction significative de la transmission du paludisme. Ceci passe non seulement par un engagement multisectoriel mais aussi par celui des communautés locales qui doivent s’impliquer davantage dans l’amélioration de leur cadre de vie.
Il ne s’agit pas d’un nouvel article prédisant une catastrophe, mais d’un appel aux gouvernements nationaux, au secteur privé des pays endémiques et aux donateurs internationaux pour qu’ils donnent la priorité aux efforts de prévention du paludisme afin d’accélérer la lutte pour l’élimination de cette maladie. La reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le plus grand bailleur international pour la lutte contre le paludisme, aura lieu en octobre. Outre les solutions de financement immédiates, il est impératif d’augmenter les ressources du Fonds mondial car, depuis des années, les efforts d’élimination du paludisme sont ralentis en raison de ressources limitées. Le moment est venu pour les pays endémiques et la communauté internationale de redoubler d’efforts et de réinvestir dans la lutte contre le paludisme afin de sauver davantage de vies pour les années à venir.
L’objectif le plus urgent et le plus important est de protéger les enfants contre le paludisme, de réduire la maladie, de sauver des vies, de réduire les coûts de santé pour le système de santé et les patients, et de soutenir le développement économique. Comme le dit l’adage, mieux vaut prévenir que guérir. Nous devons agir collectivement et investir dans la protection des enfants dès maintenant et nous efforcer de leur offrir l’avenir sans paludisme qu’ils méritent.
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